Ce 9 mai, c'est Jean qui rit et Jean qui pleure. Du petit groupe transféré du CAO d'Auxerre vers le Prahda en janvier, l'un est déjà expulsé et depuis le 11 avril, nous sommes sans nouvelles de lui, silence du jour au lendemain. Trois sont sur la voie de l'expulsion depuis leurs notifications.
En ce 9 mai, deux destins qui se jouent. Entre le tout et le rien.
Il est 10 heures du matin, un appel après signature à la gendarmerie. "Ils m'ont dit que je passais en procédure normale". Un grand rire, son rire. Depuis la notification à la préfecture, il vit dans une attente contenue et sereine, tendue et qu'il tente positive. 4 avril, 1er avion, début de la grève des amis cheminots. En Bourgogne-Franche-Comté pas un seul train, ni vers Paris, ni vers Lyon. Courrier à la préfecture avec attestation et copie à son avocat. Dans notre vocabulaire, c'est le premier avion, celui non "accompagné par la police". Ce rire de joie quand il a su qu'un deuxième "premier avion" lui serait adressé, ce qui le rapprochait de la fin des six mois après l'accord de l'Italie. 26 avril, deuxième "premier avion", et alors les jours qui s'égrainent jusqu'à la date butoir. Échanges réguliers, visites. La seule chose que nous puissions encore faire. Puis la nouvelle libératrice.
Il est 9 heures le soir, nous partageons dans la chambre d'O. sa dernière soirée. Nous venons d'apprendre que la gendarmerie se déplacerait sur le parking du restaurant voisin. L'acharnement pour expulser ce jeune, un peu vulnérable à cinq jours de la fin de son laissez passer! Tout ce qui était possible a-t-il été fait de notre côté? Ils ont monté un mur entre le Prahda et l'hôtel à côté, mais venir chercher un jeune, sur le parking du restaurant ne leur pose pas de problème. Est-ce même légal? O. est égal à lui-même, si calme. Il parle très peu français et très peu anglais, trop difficile pour lui. Alors nous restons tous les quatre dans la mini-chambre de l'ex-F1. Nous le munissons d'un papier avec les téléphones au cas où le sien aurait des problèmes, nous nous assurons qu'il a de l'argent. Car de nombreux demandeurs ne touchent pas l'allocation à laquelle ils ont droit et partent sans rien si nous ne les avons pas accompagnés. Car malgré nos efforts, il reste des demandeurs d'asile qui peuvent rester invisibles, comme transparents.
L'Yonne est un lieu d'expulsion massive. De nouveaux demandeurs d'asile ont rejoint le Prahda. Au CAO d'Auxerre, les notifications ont repris après le court répit des vacances. Et des demandeurs sont arrivés de Paris, Dublin vers tous les pays, majoritairement Afghans et tous déboutés. Un défi pour nous.
Qu'allons-nous faire? Pour lutter contre Dublin, contre ce qui se passe à la préfecture d'Auxerre semaine après semaine. Sous nos yeux, sous nos fenêtres.
(NB : Merci aux amis grévistes que nous aurions tant souhaité rejoindre dans nos entreprises pour un mouvement de grève ... générale)