Lu sur le Facebbok de Timothy Perkins
La sanguinaire milice utilisée par Khartoum au Darfour s’occupe aujourd’hui de refouler les réfugiés. Comme le souhaite Bruxelles.
Viols, razzias, villages brûlés, enlèvements, tortures… au milieu des années 2000, les janjawids faisaient régner la terreur au Darfour. À dos de cheval ou de chameau, « les cavaliers du diable », comme aimaient les nommer les médias occidentaux, étaient aussi célèbres que les talibans afghans et que les djihadistes d’al-Qaida. Ce bras armé non déclaré de Khartoum était alors financé par le régime pour nourrir le foyer d’une guerre civile débutée en 2003 et qui, d’après les chiffres de l’ONU, a fait en dix ans quelques 300 000 morts et des centaines de milliers de déplacés. Depuis 2006, ces milices, essentiellement issues des tribus arabes appauvries du Tchad et du Darfour, ont finalement été intégrées dans les forces d’action rapide du gouvernement. D’abord comme supplétifs de l’armée soudanaise mais aussi comme gardes-frontières à l’ouest du pays. Dix ans plus tard, c’est aux abords de la Libye et de l’Égypte que les anciens janjawids opèrent désormais à grands coups de rafles visant des centaines de Soudanais, d’Éthiopiens et d’Érythréens, cherchant à gagner les rivages de la Méditerranée.
À leur tête, un certain Mohamed Hamdan Dagalo, bien connu au Soudan sous le nom de Hemeti, l’un des chefs janjawids les plus redoutés. Ce dernier avait été recruté par l’ancien ministre soudanais des Affaires humanitaires, Ahmed Haroun, qui, pour prix de toute son œuvre, avait reçu en 2007 un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour. À l’époque, Européens et États-uniens étaient très à cheval sur les exactions menées par « les cavaliers du diable » et leurs complices de Khartoum. En 2010, le président Omar Al Bachir en personne est inculpé à son tour pour crimes contre l’humanité et crime de génocide.
Entente discrète avec l’UE pour fournir des armes aux janjawids
Mais depuis, la « crise des réfugiés » est passée par là. Effrayée à l’idée de voir arriver des « hordes » de migrants est-africains sur son territoire, Bruxelles a décidé de se rabibocher en catimini avec le dictateur islamiste par le truchement d’un accord tacite peu ragoûtant et qui pourrait se résumer en une formule lapidaire : « Nous fermerons les yeux sur vos déplacements, mais les réfugiés eux ne bougent plus. » Il y a quelques mois, dans le cadre du processus de Khartoum – mécanisme associant l’Europe et les pays d’origine et de destination des migrants en Afrique – un texte signé par l’Union européenne (UE) stipulait donc que Bruxelles soutenait les efforts du Soudan « pour lutter contre l’immigration clandestine », en formant notamment ses gardes-frontières. Depuis, l’accord commence à porter ses fruits. Début septembre, Hemeti, le chef des gardes-frontières, a même demandé à Bruxelles de reconnaître l’excellence de ses résultats. « L’UE devrait me remercier pour les sacrifices consentis par mes hommes », a-t-il déclaré à la presse locale. Une sortie qui n’était apparemment pas prévue dans la politique de communication de l’UE et qui a provoqué sa panique. Le 6 septembre, une délégation de l’Union européenne au Soudan publiait un communiqué de démenti : « L’Union européenne ne soutient en aucun cas la force d’action rapide (…) L’aide au Soudan ne passe pas par le gouvernement, mais par des organisations internationales ou des ONG. »
La polémique autour d’une éventuelle collaboration de Bruxelles avec Khartoum et ses supplétifs janjawids dans la gestion des réfugiés n’est pourtant pas nouvelle. En mai déjà, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel et la télévision publique ARD avaient déclenché un tollé médiatique. D’après eux, le 23 mars dernier, les pays européens se seraient entendus discrètement pour que l’Allemagne fournisse du matériel de sécurité aux gardes-frontières soudanais, c’est-à-dire aux anciennes milices janjawids.
Cette politique qui porte déjà ses fruits est cependant en totale contradiction avec les accords internationaux sur le droit des migrants fuyant des pays et États reconnus comme répressifs où leur vie est en danger. Depuis plusieurs mois, des centaines, peut-être des milliers d’Érythréens ont été renvoyés par le Soudan dans leur pays d’origine, l’une des dictatures militaires les plus répressives au monde. Récemment la journaliste érythréenne Meron Estefanos témoignait au micro de RFI : « Le 3 mai, 133 Érythréens qui voyageaient vers la Libye ont été arrêtés par des soldats soudanais et renvoyés en prison à Khartoum. Il n’y avait aucune menace de les voir renvoyés en Érythrée. Les familles pensaient qu’ils allaient être libérés après quelques semaines, comme d’habitude. Malheureusement, tard dans la nuit, il y a deux jours, ils ont été renvoyés en Érythrée. » En mai dernier, la députée européenne Front de gauche Marie-Christine Vergiat dénonçait l’opacité créée par Bruxelles autour de cet accord de coopération. Un voile pudique posé par des gouvernements de droite et sociaux-démocrates qui soutiennent des politiques anti-migratoires aux antipodes des droits de l’homme. « On a beaucoup de mal à avoir des informations sur la concrétisation de ces accords avec le Soudan ou avec l’Érythrée, expliquait-elle. J’ai récemment interrogé la Commission sur l’Érythrée, on m’a répondu : secret diplomatique. »