Plus de 150 demandeurs d'asile ont été amenés d'abord de Paris (La Chapelle, Jaurès, Stalingrad...) puis de Calais dans l'Yonne. Une grande majorité dépend de Dublin. Ils ont pris tous les risques et maintenant ils risquent le retour dans un pays où ils ont été enregistrés contre leur gré et où les conditions d'accueil ne sont pas acceptables. Lire dans la rubrique Pages : notre pétition, la lettre des demandeurs d'asile soudanais d'Auxerre ... . Consulter les catégories : Paroles de demandeurs d'asile, Pays de non asile, Nous les soutenons, Nous informons, Chronique en 89, Prahda, Ofpra.
Signer la pétition pour la régularisation : https://secure.avaaz.org/fr/community_petitions/emmanuel_macron_et_le_gouvernement_francais_france_regularisation_de_tous_les_sanspapiers/?txqxfqb&fbclid=IwAR2vLV1piiM2wCy8EP05vhzCNFk5iLL_tvPjntEgXI5yFb9Qk4kBBKrgprY
Le panneau de la gare de Sens. Aucun train en Bourgogne-franche-Comté
Ce 9 mai, c'est Jean qui rit et Jean qui pleure. Du petit groupe transféré du CAO d'Auxerre vers le Prahda en janvier, l'un est déjà expulsé et depuis le 11 avril, nous sommes sans nouvelles de lui, silence du jour au lendemain. Trois sont sur la voie de l'expulsion depuis leurs notifications.
En ce 9 mai, deux destins qui se jouent. Entre le tout et le rien.
Il est 10 heures du matin, un appel après signature à la gendarmerie. "Ils m'ont dit que je passais en procédure normale". Un grand rire, son rire. Depuis la notification à la préfecture, il vit dans une attente contenue et sereine, tendue et qu'il tente positive. 4 avril, 1er avion, début de la grève des amis cheminots. En Bourgogne-Franche-Comté pas un seul train, ni vers Paris, ni vers Lyon. Courrier à la préfecture avec attestation et copie à son avocat. Dans notre vocabulaire, c'est le premier avion, celui non "accompagné par la police". Ce rire de joie quand il a su qu'un deuxième "premier avion" lui serait adressé, ce qui le rapprochait de la fin des six mois après l'accord de l'Italie. 26 avril, deuxième "premier avion", et alors les jours qui s'égrainent jusqu'à la date butoir. Échanges réguliers, visites. La seule chose que nous puissions encore faire. Puis la nouvelle libératrice.
Il est 9 heures le soir, nous partageons dans la chambre d'O. sa dernière soirée. Nous venons d'apprendre que la gendarmerie se déplacerait sur le parking du restaurant voisin. L'acharnement pour expulser ce jeune, un peu vulnérable à cinq jours de la fin de son laissez passer! Tout ce qui était possible a-t-il été fait de notre côté? Ils ont monté un mur entre le Prahda et l'hôtel à côté, mais venir chercher un jeune, sur le parking du restaurant ne leur pose pas de problème. Est-ce même légal? O. est égal à lui-même, si calme. Il parle très peu français et très peu anglais, trop difficile pour lui. Alors nous restons tous les quatre dans la mini-chambre de l'ex-F1. Nous le munissons d'un papier avec les téléphones au cas où le sien aurait des problèmes, nous nous assurons qu'il a de l'argent. Car de nombreux demandeurs ne touchent pas l'allocation à laquelle ils ont droit et partent sans rien si nous ne les avons pas accompagnés. Car malgré nos efforts, il reste des demandeurs d'asile qui peuvent rester invisibles, comme transparents.
L'Yonne est un lieu d'expulsion massive. De nouveaux demandeurs d'asile ont rejoint le Prahda. Au CAO d'Auxerre, les notifications ont repris après le court répit des vacances. Et des demandeurs sont arrivés de Paris, Dublin vers tous les pays, majoritairement Afghans et tous déboutés. Un défi pour nous.
Qu'allons-nous faire? Pour lutter contre Dublin, contre ce qui se passe à la préfecture d'Auxerre semaine après semaine. Sous nos yeux, sous nos fenêtres.
(NB : Merci aux amis grévistes que nous aurions tant souhaité rejoindre dans nos entreprises pour un mouvement de grève ... générale)
Visites hebdomadaires et c'est toujours l'atroce routine du CAO d'Auxerre déstabilisante et qui ancre toujours plus le désespoir de l'impuissance.
Les demandeurs d'asile raflés à Paris sont arrivés, remplaçant les derniers expulsés, partis en fuite ou transférés vers le Prahda. Leur récépissé en témoigne, ils ont été enregistrés il y a quelques jours à peine en région parisienne et ils sont déjà là, sur la voie express de l'expulsion.
Et leur histoire, dramatique, s'égraine dans leurs mots : cette fois, ce sont des Afghans, ils sont Dublin de tous les pays, Belgique, Grèce, Suède. Ils sont tous déboutés comme les dizaines de milliers de demandeurs dans toute l'Europe qui fuient un pays qui veut les expulser, et tentent dans un autre pays l'impossible demande. Pas le cœur de leur expliquer dès les premiers moments, ce qui se passe ici. Même si, certainement, les autres demandeurs ont pu le leur dire. Il reste toujours en eux un espoir.
Après une mini-pause due aux vacances, les notifications ont repris. Croisés devant le CAO, deux demandeurs vont chercher une lettre recommandée, ils le savent, c'est la notification exécution Dublin. Ils sont soudanais, dans les à peine deux mois qu'ils ont passés au CAO, les liens s'étaient tissés. Réservés et dignes, ils sont là à chaque visite et échangent en un français hésitant, déjà remarquable pour un si court séjour. A leur retour, ils tendent une lettre, notifications dans la deuxième quinzaine de mai.
5 demandeurs d'asile ont rejoint le Prahda d'Appoigny. Leur rendre visite alors pour ne pas entériner la volonté d'isolement, suivre jusqu'au bout la politique qu'on leur inflige. Le Prahda laisse lors des visites obligatoirement tardives une impression glauque et tellement destroy.
Et il y a ceux qui n'ont d'autres alternatives dans les jours qui viennent que l'avion ou la rue. Dans cet absurde et désespérant ballet des déboutés de toute l'Europe.
Nous ne pouvons certainement pas empêcher cette inhumaine politique, seul un changement de société le pourrait. Tant ce traitement de l'asile comme la colonisation autrefois et aujourd'hui font partie inhérente de cette société d'exploitation et d'oppression. Mais nous pouvons sans relâche la combattre et faire connaître ce qui se passe ici, sous nos fenêtres, à la préfecture de l'Yonne.
Depuis octobre, les vagues de raflés arrivent au CAO d'Auxerre. Leur date de fin de Dublin est toujours plus lointaine, leur date d'enregistrement toujours plus proche.
L'accompagnement des Dublin dans ce CAO se résume tragiquement à expliquer à chacun la proximité de leur notification. Afin qu'ils soient préparés (mais peuvent-ils l'être?), réfléchissent à ce qu'ils vont faire.
Avant leur transfert au Prahda (ou ailleurs : ainsi 4 demandeurs ont été transférés à Joigny, l'un a déjà été notifié, l'avion programmé pour cette semaine. Et peut-être reviendront-ils bientôt aux notifications à Auxerre aussi),
Avant la notification, avant leur assignation, après la notification.
Et aider en fonction de leurs décisions.
DEPUIS OCTOBRE, LE SIGNAL ÉTAIT AU ROUGE, L'ACCELERATION MANIFESTE AU PRAHDA COMME A AUXERRE.
CE MOIS-CI, LA SITUATION EST DEVENUE CLAIRE POUR TOUS. LE DEPARTEMENT ENTIER EST DEVENU UN LIEU D'EXPULSION DES DUBLIN.
12 notifications prévues au centre de Jaulges, le chiffre le plus élevé que nous ayons vécu en un temps si court. Le centre de Jaulges est complètement isolé, les demandeurs d'asile ne savent pas ce qui les attend. Ne peuvent même pas anticiper.
Les raflés d'octobre du CAO d'Auxerre transférés au Prahda et à Joigny commencent à recevoir leur notification.
Le CAO de Villeblevin est touché. Lors de la soirée organisée par le collectif, cela semblait encore si lointain. Aujourd'hui, deux demandeurs ont reçu leur convocation pour la semaine à venir.
ET A LA PRÉFECTURE, UN DEMANDEUR EN REMPLACE UN AUTRE.
PLUSIEURS DANS UNE SEULE MATINÉE VENANT DES DIFFÉRENTS LIEUX "D'ACCUEIL" DU DEPARTEMENT.
LA PRÉFECTURE A OBTENU LES MOYENS DE SA POLITIQUE. LES DÉLAIS DE CONVOCATION, LES INTERPRÈTES, TOUT EST LA POUR ÉVITER LE REJET DES DÉCISIONS. ET LES AVIONS SONT DÉJÀ RETENUS, LES ROUTINGS DONNES LORS DE LA NOTIFICATION.
CE QUI SE PASSE DANS L'YONNE ?
LA MISE EN PLACE DE LA POLITIQUE ANNONCÉE AVANT MÊME LES ÉLECTIONS.
NOTRE DÉPARTEMENT EST UN MAILLON DANS LA CHAINE DE L'EXPULSION VOULUE PAR LE POUVOIR. SELON LES CHIFFRES OFFICIELS, 600 DEMANDEURS D'ASILE ONT ÉTÉ PARQUES DANS L'YONNE DONT UNE FORTE MAJORITE ONT "VOCATION" COMME ILS DISENT A QUITTER LE TERRITOIRE.
NOUS AVONS FREINE UN PEU LA MACHINE PAR NOTRE ACTION AU PRAHDA, ALORS L'ETAT PREND D'AUTRES VOIES ...
Plus d’une semaine après le début de la nouvelle année, on dénombre déjà près de 200 migrants ou réfugiés morts ou disparus sur la route de la Méditerranée centrale, a déploré mercredi l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Les garde-côtes libyens ont secouru mardi 9 janvier près de 300 migrants qui se trouvaient à bord de trois bateaux gonflables, mais selon les témoignages de survivants, environ 100 sont toujours disparus.
L’OIM, qui était présente au point de débarquement à Tripoli, a fourni de l’eau et de la nourriture aux survivants. Ces derniers sont pour la plupart originaires de pays africains, notamment la Gambie, le Sénégal, le Soudan, le Mali et le Nigéria. Les garde-côtes libyens ont signalé que huit survivants venaient du Bangladesh, dont une femme, et deux du Pakistan.
« Il est triste de voir que pendant les 10 premiers jours de 2018 près de 800 migrants ont été sauvés ou interceptés au large des côtes libyennes et que davantage de personnes ont perdu la vie en mer », a déclaré Othman Belbeisi, chef de mission de l’OIM en Libye.
« Il faut faire plus pour réduire les mouvements irréguliers et dangereux de personnes le long de la route de la Méditerranée centrale », a-t-il ajouté.
Ce dessin a une histoire. Il a été fait par un tout jeune soudanais de 13 ans qui est actuellement dans un camp du Darfour dévasté. C'est le frère d'un demandeur d'asile d'Auxerre. Celui-ci, arrivé il y a un an et demi, a redouté pendant des mois et des mois à Coallia la notification de retour en Italie. Menacé d'expulsion à chaque moment, il était entré dans un long silence. Et les élections sont arrivées, deux mois presque sans expulsion et comme de nombreux demandeurs d'asile de Coallia, sa vie a basculé. Pour lui, du rien à tout, des rues d'Europe à des papiers pour 10 ans. Durant tous ces mois, nous sommes restés à ses côtés et aux côtés au quotidien de ces demandeurs d'asile. Une présence indispensable devant la brutalité des situations et pour faire tout le possible pour empêcher l'expulsion. Aujourd'hui, dans l'Yonne, ils sont des dizaines et des dizaines à être menacés par Dublin et par les refus d'asile ...
Pour un mouvement pour l'asile dans l'Yonne.
En ce moment, de nombreux demandeurs d'asile dans l'Yonne ont une réponse négative de l'Ofpra. Ils sont en attente de la réponse de la CNDA.
Ils sont aussi très seuls, très isolés, dispersés dans tout le département, dans des centres où nous ne sommes pas présents.
Nous sommes trop peu nombreux à les accompagner et que ferons-nous si jamais on prétend les renvoyer dans leur pays d'origine.
Un demandeur d'asile soudanais sur le point d'être expulsé voit sa demande d'asile aboutir. Se battre, toujours se battre.
La mobilisation est possible pour l'asile contre toute forme d'expulsion. Comme le montre ce message sur le facebock de Timothy Perkins
Jamal, la vingtaine, tout sourire ce soir après des épreuves que nos députés qui ont voté la rétention des demandeurs d'asile devraient étudier une à une pour en mesurer l'horreur. Jamal a eu en cadeau de bienvenue, après avoir erré dans les rues, une obligation de quitter le territoire confirmée par le juge administratif de Rouen qui a écrit un torchon. Il a été mis en rétention et le juge des libertés et de la détention a considéré qu'il pouvait être reconduit au Soudan. S...a demande d'asile, en rétention, a abouti en quelques heures. Il est à préciser que Jamal est originaire du Darfour et d'ethnie Zaghawa, ce qui laissait indifférent le préfet et le tribunal administratif. Le Darfour est dans une situation de violence indiscriminée et généralisée de haute intensité, crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide de la part de notre sinistre ami Omar El Béchir que le cabinet de Collomb a reconnu avoir interrogé sur certains demandeurs d'asile; et son ethnie -non arabe- est persécutée. Il reste le sourire enfin apaisé de Jamal qui fera notre fierté, celle que nous éprouvons chaque fois que les principes fondamentaux de la France sont respectés. #Asile#humanitééchouée#Réfugiés
À Catherine Delanoe-daoud, Olga Yog, Taïri Dupont, Houssam, Florence Roy et tous ceux qui se sont mobilisés
PS: en clin d'oeil, nous avons expliqué ce qu'était la Bastille pour nous alors que nous étions installés au Café Français... tout un symbole."
Des mini-cuisines et l'Yonne avec les responsables du Prahda se réjouit: les conditions se sont améliorées!
Mais le Prahda reste ce qu'il est.
Un lieu d'expulsion accélérée, un lieu aux conditions indignes où
les droits sont bafoués.
A-t-on déplacé ce bâtiment isolé, en bord d'autoroute, invisible? Loin de tout.
A-t-on arrêté le processus d'expulsion rapide qui a mis dans les rues d'Europe déjà plusieurs dizaines de demandeurs d'asile Dublin? Seul l'engagement de militants pour les droits des demandeurs a pu en protéger quelques-uns en faisant respecter leurs droits.
Y a-t-il un accompagnement pour les demandeurs en procédure normale qui doivent se préparer face aux procédures iniques de l'Ofpra et de la CND.
Les notifications de la préfecture ont-elles cessé au Prahda?
La direction s'est-elle engagée pour ne pas accepter dans des conditions impropres des familles de demandeurs d'asile entières, une femme enceinte qui va accoucher dans ce formule 1 dans les jours qui viennent (un scandale!), un bébé de même pas trois mois, une famille logée dans une seule chambre.
Le Prahda a-t-il un personnel suffisant pour les 82 personnes qu'il a accepté de recevoir?
Le Prahda a-t-il mis en place des conditions permettant aux demandeurs d'asile d'être soignés, aux enfants d'aller à l'école, aux demandeurs d'asile de pouvoir se déplacer pour leurs démarches. Seul l'engagement issu de la mobilisation de cet été permet en fait en ce moment de répondre aux besoins les plus criants.
Dans l'article, la direction ose dire qu'ils sont là pour peu de temps, ce qui revient à cautionner le principe même des expulsions accélérées et qui fait l'impasse sur le fait que beaucoup de demandeurs sont en procédure normale et même que certains ont des papiers. Elle dit aussi clairement qu'il n'est pas nécessaire d'avoir de meilleures conditions pour les Dublin qui ont "vocation" à être expulsés.
Le blog milite contre les Prahda, depuis l'ouverture à Appoigny. La photo de ce Prahda montre bien qu'il y a de belles mobilisations ailleurs. Depuis juillet, nous avons tous ensemble milité contre ce Prahda. Et nous pouvons encore amplifier ce mouvement.
Il milite aussi pour que l'on se mobilise pour tous les demandeurs d'asile de l'Yonne , comme à Appoigny ou Villeblevin, qu'ils soient à Jaulges, à Auxerre, à Saint-Florentin, ou à Joigny.
Un mouvement pour l'asile, contre les expulsions dans l'Yonne : pas d'expulsion pour les Dublin, pas d'OQTF, pas de retours forcés dans l'Yonne!
Nous savons que c'est là le résultat d'un travail inlassable, obstiné ainsi que du courage des demandeurs d'asile qui se sont battus et qui aujourd'hui ont témoigné. Ce que cet article nous enseigne : ne jamais baisser les bras, ne jamais accepter. Il est toujours possible de briser le silence. Merci.
À 200 km de Paris, une centaine de migrants vivent dans des conditions alarmantes. Notre enquête lève le voile sur la situation sanitaire et le fonctionnement opaque du centre de Jaulges (Yonne). Le Défenseur des droits a été saisi en octobre.
Publié le
La situation géographique et la configuration des lieux donnent au centre d'accueil et d'orientation (CAO) de Jaulges un aspect de prison à ciel ouvert. La Croix-Rouge entretient l’isolement extrême des résidents en surveillant tout contact avec l'extérieur, en limitant l’accès à l’information et en ouvrant leur correspondance.
Pendant une visite à des résidents, la Croix-Rouge a tenté de nous empêcher de prendre des photos, de restreindre nos déplacements et de nous intimider.
Plusieurs demandeurs d’asiles ont été contaminés par la tuberculose.
Le Défenseur des droits déclare avoir été saisi sur les conditions de vie au CAO de Jaulges.
Pour atteindre le centre d’accueil et d’orientation (CAO) de Jaulges, dans l'Yonne, il faut quitter la petite ville de Saint-Florentin et marcher environ deux heures. Au détour d'une route départementale, un transformateur électrique sur lequel le slogan «DEHORS» recouvre l'inscription «REFUGEES WELCOME» indique qu'on est presque arrivé. À gauche, au bout du petit chemin goudronné se dresse l'imposant portail de l'ancien camp militaire transformé en centre pour demandeurs d'asile, géré par la Croix-Rouge, perdu en pleine forêt. On s'y est rendu à la mi-novembre après avoir recueilli les témoignages alarmants de deux réfugiés qui y ont passé huit mois.
À leur arrivée en France en 2016, Diarassouba*, un Ivoirien de 27 ans, et Bakari*, un Guinéen de 21 ans, sont d’abord passés par le centre humanitaire situé porte de la Chapelle, à Paris. «Un matin, on nous a dit qu'on allait en province à 1 h 30 [de Paris] sans nous préciser exactement où. Là-bas, ils allaient étudier notre dossier», se souvient Diarassouba. Mais arrivés sur place, les passagers du bus ne peuvent plus revenir en arrière. «Le bus était plein quand on est arrivés à Jaulges», se rappelle à son tour Bakari. «En voyant l'endroit, certains ont refusé de descendre. La police était là et c'est elle qui nous a fait descendre.»
Diarassouba et Bakari sont restés huit mois à Jaulges, ils sont aujourd'hui en fuite. Ce n'est qu'une fois arrivés dans l'Yonne que les Diarassouba et Bakari tombent sous le coup du règlement européen Dublin III qui établit que le pays responsable de la demande d'asile d'un migrant est celui qui l'a contrôlé en premier. Autrement dit, ils vont être expulsés vers l'Espagne, le premier pays de l'Union européenne qui a prélevé leurs empreintes. «À l'annexe de la préfecture, boulevard Ney [dans le 18e arrondissement de Paris], on nous a tous dit qu'on était en procédure de demande d'asile normale. Mais arrivés là-bas, la préfecture nous a dit qu'on était dublinés», poursuit Bakari.
Les demandeurs d'asile se sentent alors trahis par les autorités. Ils voient le camp de Jaulges comme un piège dans lequel on les a jetés.
«L'État est chez lui, et fait ce qu'il veut»
La zone de 42 hectares qui abritait la 15e base du soutien matériel de l'armée de terre (BSMAT) faisait l'objet d'un plan local de revitalisation depuis le départ des militaires en 2014. Au mois d'octobre 2016, le préfet convoque le maire de Jaulges et ceux des communes voisines et leur annonce la nouvelle. «Ce que je vais vous dire ne va pas vous plaire. L’État a décidé de faire dans l’ancien camp militaire de Jaulges, un CAO, centre d’accueil et d’orientation pour migrants. L’Etat est chez lui et fait ce qu’il veut», retranscrit dans ses vœux le maire du village de Chéu, l'une des communes limitrophes.
Les premiers bus de demandeurs d'asile sont arrivés à Jaulges, un mois après cette réunion expéditive en novembre 2016. «Nous sommes là, dans l'ignorance. Nous n'avons pas reçu d'informations. Nous demandons pour les recours et on nous répond qu'il n'y en a pas», se rappelle Diarassouba. Son compagnon complète : «On restait toujours devant. On avait peur de se promener derrière. Il y a beaucoup de bâtiments militaires vides. C'est effrayant.»
Créés pour héberger les migrants après l’évacuation des camps qui s’étaient formés autours de Calais, Dunkerque et Paris, les CAO sont régis par une charte de fonctionnement. Celle-ci est éditée par le ministère de l’Intérieur et le ministère du Logement. Elle prévoit en premier lieu «d’assurer l’accueil et la prise en charge des personnes dans des conditions dignes et adaptées à leur situation et leur parcours».
D’après cette charte, le CAO doit aussi «permettre aux migrants de bénéficier d’un temps de répit, de reconsidérer leur projet migratoire, de bénéficier le plus rapidement possible de toutes les informations et de l’accompagnement administratif nécessaires au dépôt d’une demande d’asile s’ils souhaitent s’inscrire dans cette démarche».
L'isolement géographique transforme le centre en prison
Relégués en zones rurales, les résidents de Jaulges n'ont accès à rien. «Au camp il n'y a pas de réseau [internet] mobile. Il faut le chercher à des endroits précis», déplore Bakari. L'isolement géographique transforme le centre en prison. «On ne peut pas vraiment sortir. Il faut faire 12 km à pied», ajoute Diarassouba. Certains migrants disposent de vélos donnés par la Croix-Rouge, la plupart du temps il faut les acheter. Or, la majorité des réfugiés n'en ont pas les moyens.
«Le seul transport que la Croix-Rouge mettait à notre disposition, c'était un camion de 7 places pour aller chercher des cigarettes, des cartes téléphoniques et des boissons. Nous n'avions qu'une heure, et seulement le mardi, le jeudi et le samedi.» Ces voyages deviennent la seule occasion de quitter le centre pour les demandeurs d'asile. Il était pourtant prévu lors de la mise en place de ces structures que «les services de l’État veillent, dans toute la mesure du possible, à la proximité des services facilitant la prise en charge des personnes accueillies».
«Douze kilomètres à pied par jour, ça me fatiguerait un peu. Eux ça ne leur fait pas peur»
Joint au téléphone par BuzzFeed News, le directeur local du centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de la Croix-Rouge (qui a bien voulu répondre à nos questions, mais a souhaité ne pas être nommé) concède : «Ils peuvent avoir le sentiment d'être coupés du monde. Pour être honnête, c'est évident que ceux qui viennent sont un peu surpris au début.» Mais il ajoute :
«Ils sont complètement dans la forêt. Cela dit, ils y trouvent aussi leur compte. C'est-à-dire qu'ils sont complètement libres, ils peuvent se promener tant et plus. Et c'est souvent des gens qui viennent de la campagne dans leur pays respectif. Je ne sais pas vous, mais douze kilomètres à pied par jour, ça me fatiguerait un peu. Eux, ça ne leur fait pas peur.»
Interrogé sur le temps qu’il faut pour parcourir la distance qui sépare le camp de la commune de Saint-Florentin, le directeur répond : «Ils mettent une bonne heure pour y aller. Parce que ce sont des gros marcheurs, hein…»
Les réfugiés que nous avons rencontrés ont le sentiment que les travailleurs sociaux leur enlèvent peu à peu la possibilité de participer à leurs propres démarches. «On avait reçu nos premiers récépissés [de titre de séjour] mais quand il a fallu les renouveler, nous n'avons pas pu y aller nous-mêmes», rapporte Bakari. «On ne pouvait pas envoyer de dossier ni sortir faire des démarches.» Le directeur du CHRS tente de le justifier par la difficulté des migrants à se déplacer : «On les accompagne parce qu'ils ne peuvent pas le faire tout seul. On accompagne à Dijon ceux qui ne savent pas se débrouiller. Certains sont incapables de prendre le train seul donc on les emmène.»
Des conditions de vie proches de la détention
Diarassouba décrit le camp comme une véritable prison : «Le camp est très vaste. La cour est fermée et clôturée par des murs en béton et des barbelés. Il n'y a qu'une entrée et elle est souvent fermée. On pouvait aller et venir par la porte piéton.» Il insiste aussi sur la surveillance dont les migrants font l'objet. «À Jaulges, on est surveillé. Il y a des caméras devant. On ne sait pas si elles fonctionnent. Les travailleurs sociaux passent dans les chambres chaque matin à 8 heures pour voir si tout le monde est bien dans son lit», précise Dirassouba. Interrogé sur la présence de caméras, le cadre de la Croix-Rouge laisse échapper un rire sarcastique : «Arrêtez de croire tout ce qu'on vous dit il n'y a pas de caméra.»
Des caméras surplombent pourtant bien le portail du camp de Jaulges, comme nous l'avons constaté en prenant des photos. «C’est interdit de prendre des photos ici. C’est une propriété de l’État. Vous devrez les supprimer avant de sortir», nous a plus tard intimé un employé de la Croix-Rouge. Ce même employé tentera tout au long de la visite de restreindre nos mouvements. «Vous ne pouvez vous déplacer que dehors et dans la pièce de vie. Vous ne pouvez pas vous rendre dans les autres pièces ni à l’arrière du camp.»
Les murs d’enceinte du camp sont surmontés de barbelés. Contrairement à ce que prétend le cadre de la Croix-Rouge, des caméras – dont on ne sait pas si elles fonctionnent – surplombent l’entrée du camp.
Le CAO est ouvert, les migrants peuvent aller et venir à leur guise. Mais la disposition du camp, avec ses hauts murs d’enceinte et les dispositifs de sécurité laissés par l’armée, créent rapidement l’impression de se trouver dans un lieu clos. L’épaisse forêt qui entoure le site amplifie ce sentiment d’enfermement. Un résident actuel du camp décrit : «Notre seul intermédiaire avec le monde extérieur, c'est le bureau du camp. Rien n'entre ou ne sort sans passer par le bureau. Tout passe par là.» Il n’est en effet pas possible d’emprunter l’unique entrée du camp sans être vu des bureaux de la Croix-Rouge, situés près du portail.
Diarassouba témoigne de cet isolement et d'un sentiment puissant d'entre-soi qui sont entretenus par le personnel du centre. Selon lui, les contacts avec l'extérieur étaient rares et l'administration employait son énergie à les limiter au maximum. «Les travailleurs sociaux n'acceptent pas vraiment que l'on vienne nous voir. Surtout si [les visiteurs] sont des Blancs.» Selon Diarassouba, les employés du camp n’hésiteraient pas à faire pression sur les résidents. «Ils viennent nous voir pour nous dire que nous ne pouvons pas les rencontrer, ils nous intimident. Ou alors ils réduisent les entrevues. Ils ne veulent pas que l'on nous donne d'informations sur nos droits», explique-t-il.
«Le problème de ce camp, c'est que personne ne veut nous donner d'information, confirme un résident. Nous n'avons rencontré aucune association et personne ici ne nous dit où et comment nous pouvons trouver et connaître nos droits.»
Ouverture du courrier et interdiction d'accès aux associations
On s'est rendu au camp de Jaulges — sans se présenter en tant que journaliste. Alors que l'on visitait l'endroit, le personnel du CAO nous a soumis à un véritable interrogatoire.
«Je me pose des questions sur votre venue ici. Je me demande si vous connaissez vraiment ces personnes. J’ai des doutes vous voyez, alors je m’interroge. J’aimerais connaitre les raisons de votre venue ici. Je pense que vous ne les dites pas», a questionné l'un d'entre eux. On a alors répondu que nous venions rendre visite à l'un des réfugiés.
La Croix-Rouge est la seule organisation présente sur place. Elle interdit l'accès de ce camp à d'autres associations d'aide aux réfugiés. Et quand on interroge au téléphone le directeur du CHRS sur ce point, il s'exclame : «Ils peuvent aller les voir à côté [dans la forêt], mais elles ne rentrent pas dans le CAO. C'est une propriété privée ! Vous ne faites pas rentrer tous les gens qui le veulent chez vous ! Là c'est exactement la même chose.» Puis ajoute : «C'est une propriété dont la Croix-Rouge est responsable. Elle fait rentrer les gens qu'elle connaît et dont elle sait ce qu'ils vont faire. On est là pour les aider [les réfugiés]. Une association d'aide aux migrants, on en est une.»
Parmi les problèmes au sein du CAO, la question de la correspondance est un sujet épineux. Certains migrants parlent de l’ouverture imposée de leur courriers, qu’ils vivent comme une surveillance. «Là-bas on doit retirer nos courriers auprès de la Croix-Rouge. Quand on y va, ils les ouvrent devant nous et ils les regardent d'abord», relate Bakari. Les réfugiés rencontrés au centre confirment ces méthodes. Du côté de la direction, on reconnaît ces pratiques : «Les courriers officiels, on les ouvre devant eux pour leur montrer ce dont il s'agit. Sinon, comme ils ne savent pas lire le français ils passeront au travers de l'information.» De son côté Diarassouba, qui est francophone, dit effectivement ne pas avoir eu à subir ces intrusions dans sa correspondance : «Ils me laissaient prendre mon courrier et l'ouvrir dans ma chambre. Ils se méfiaient de moi, car je parle et je lis bien le français.»
Des conditions sanitaires inquiétantes
Dans le camp de Jaulges, ce sont les migrants qui sont chargés de garder l'endroit propre. «C'est nous qui avons dû le nettoyer et garder l'endroit sain. Il y a un infirmier qui venait le lundi et le jeudi. Il fallait lui demander un rendez-vous à l'hôpital si on était malade. Nous avons tous été malades», se remémore Bakari.
«Des gens avaient la tuberculose», affirme Diarassouba. «L'un de mes amis l'avait, mais je ne l'ai su qu'après avoir quitté Jaulges. On faisait tout ensemble. On fumait la même cigarette, on buvait les mêmes boissons et on mangeait dans le même bol. Il allait souvent à l'hôpital et les travailleurs sociaux n'ont pas su dire ce qu'il avait. Maintenant, j'ai aussi la tuberculose», se plaint-il. Il sort de son classeur les résultats d'analyses effectuées six jours après son départ de Jaulges, qui attestent d’une contamination par le virus.
La conduite à tenir en cas de manifestation chez un patient de la tuberculose est très précise. Interrogé par BuzzFeed News, Florian Vivrel, médecin de la mission française de Médecins sans frontières explique :
«Dans un monde idéal, si ces personnes ne sont pas hospitalisées, c'est qu'en théorie elles ne sont pas contagieuses. Si la personne est symptomatique, on l'hospitalise et on lui met un masque. Tant qu'on est pas certain que ce n'est pas ça, les patients sont gardés en isolement. Quand on a quelqu'un qui est positif et contagieux, il faut faire une enquête dans l'entourage.»
À l'intérieur du camp, plusieurs réfugiés se souviennent de cas de tuberculose. «Il y a eu sept cas dans le camp. Aujourd'hui, il y a encore trois tuberculeux dans le camp. Nous vivons tous mélangés, personne n'a été séparé ou éloigné des autres», précise l'un d'entre eux. Après la première apparition de la maladie, ils confirment la venue de médecins pour dépister le virus chez les autres résidents. Les médecins auraient ensuite donné un traitement médicamenteux aux malades, sans les isoler du camp.
Joint par téléphone, l’agence régionale de santé de Bourgogne (ARS) confirme avoir enregistré un cas de tuberculose à Jaulges au cours des trois derniers mois. Celui-ci aurait été pris en charge par le Centre de lutte antituberculeuse. «À ce jour, il n’y a pas de cas de tuberculose maladie [contagieuse] au CAO de Jaulges», affirme l'ARS. Quant au traitement contre la tuberculose prescrit à certains résidents de Jaulges, il pourrait s’agir de «traitement préventifs et non curatifs». Il serait alors question de cas de «tuberculose latente» et non contagieuse. «C'est pour ça que nous, on a aucun cas de signalés. Parce qu'on s'occupe de ceux qui sont contagieux. Il y a zéro nouveau cas de notre côté. Si on a pas de cas signalés, on ne peut pas communiquer.»
«La promiscuité favorise la contagion», précise Florian Vivrel sur la propagation de la maladie. «L'insalubrité, la fatigue et l'épuisement sont des facteurs qui vont aussi, à l'échelle d'une population, favoriser la contagiosité», ajoute-t-il. Au camp de Jaulges, les locaux sont vétustes et les résidents sont 4 à 6 par chambre malgré la charte qui préconise «l’individualisation de l’espace, autant que possible et en fonction de la configuration du lieu, afin d’assurer un accueil dans la dignité des personnes».
«Ce sont des gens qui ont souffert et qui font beaucoup de "bobologie"»
Du côté de la Croix-Rouge, c'est une version tout à fait différente que le directeur du CHRS livre : «On a pu avoir des maladies graves. Ça a été détecté et tout le monde a été traité aussitôt. Actuellement on n'a plus rien. Il peut y avoir des rhumes, il y aura certainement des grippes. Personne n'est reparti malade du camp.» Pour lui, les migrants exagèrent leurs problèmes. «Ce sont des gens qui ont beaucoup souffert et qui font beaucoup de "bobologie", je dirais… Ils ont souffert comme des malades en traversant le Sahara. Maintenant lorsqu'ils se frottent le petit doigt par terre ils souffrent. Et comme ils savent qu'il y a des soins ils viennent les chercher aussitôt», déclare le directeur du CHRS.
Une antichambre pour les expulsions
À Jaulges, la durée de séjour des demandeurs d'asile à tendance à s'éterniser. Un migrant résume : « Notre vie ici, c'est Prison Break. Beaucoup de gens transférés de Paris quittent immédiatement le camp. Personne ne veut rester ici, dans la forêt, donc beaucoup décident de fuir. Ils choisissent de dormir dans la rue à Paris plutôt qu'à Jaulges.»
Diarassouba et Bakari ont donc passé huit mois au camp avant d'être à nouveau déplacés. Ils ont été conduits à environ trente kilomètre de Jaulges, dans une autre structure située dans la ville d'Appoigny, pour être expulsés le plus rapidement possible vers l'Espagne. «Une fois là-bas, on est assignés à résidence 45 jours en attendant l'expulsion», explique Diarassouba.
«Dans les deux premières semaines on nous donne un premier billet [d'avion]. Si on l'a refusé, on est considéré comme étant en fuite.»
Sous le coup d’un arrêté d’expulsion, Diarassouba et Bakari ont refusé de prendre le billet d'avion et ont choisi de s'enfuir pour un futur incertain. «Aujourd'hui, c'est l'enfer que je vis. Ma vie est basée sur le doute», raconte Diarassouba, qui est très amer : «Si je n'étais pas en danger, je ne serais pas parti [de Côte d’Ivoire]. Ce que je regrette plus que tout, c'est de ne pas avoir été écouté en France. Je parle la langue de ce pays mais on ne m'a même pas donné l'occasion de m'exprimer. Maintenant je n'ai aucune idée de ce qui va arriver. Je ne sais même pas si tout ça finira par s’arrêter.»
Contacté par BuzzFeed News, le Défenseur des droits déclare avoir été saisi sur les conditions de vie au CAO de Jaulges.