C'était en septembre 2016. J'arrivais au CAO d'Auxerre, rendant visite aux demandeurs d'asile transférés les uns après les autres de Sens à Auxerre.
Dans ce CAO, je faisais connaissance d'autres demandeurs, parmi eux, lui.
Durant 10 mois, nous partageons tous ensemble, les longues journées des Dublins, redoutant chaque jour la notification d'un transfert, les vols et la déclaration de fuite.
Durant ces dix mois, les demandeurs d'asile soudanais écrivent une lettre collective au préfet qui n'en tient pas compte. Pourtant, pratiquement tous ceux qui réussiront à passer en procédure normale, auront le statut de réfugié.
Il est l' un des derniers à être notifié avant la fin de ce délai qui lui aurait permis de passer en procédure normale. Désespéré, il se rend à Paris pour trouver un avocat. Il n'aura jamais de deuxième convocation. Avec les élections, les transferts s'arrêtent.
Commence alors la très longue attente du changement de procédure, puis de l'entretien avec l'Ofpra.
Un jour, il est transféré loin de ses amis, de nous. Dans une ville en déshérence. C'est le début pour lui d'un désespoir qui s'installe et qui ne le quitte plus.
Il perd à l'Ofpra : il a trop parlé disent-ils. Il dit, je n'ai pas pu m'expliquer.
Après huit mois d'attente, il passe à la CNDA. Il préfère y aller seul.
Aujourd'hui, il reçoit la réponse positive. Deux ans et six mois, une souffrance qui s'installe et aujourd'hui, une joie mêlée d'angoisse pour qui le soutient.
Deux ans et demi de souffrance. Pourquoi? Et surtout une question lancinante, pourra-t-il se reconstruire?
Lettre à l’intention des autorités françaises,
Des demandeurs d’asile soudanais d’Auxerre, janvier 2017
Avant la guerre civile, nous vivions tranquillement dans notre pays. Puis les guerres se sont déclenchées partout dans notre province du Darfour et nous sommes devenus les victimes à la fois du gouvernement et des milices armées, et jusqu’à ce jour nous n’avons pas trouvé la paix car, malgré tous les appels au secours que nous avons lancés, nous avons perdu nos familles, nos proches.
Nous avons dû quitter la terre de nos aïeux en laissant derrière nous tous nos biens, tout ce qui nous est cher pour trouver un endroit pour continuer à vivre comme des êtres humains et nous sommes parvenus en Libye avec l’espoir d’y trouver refuge, de pouvoir y vivre et y travailler.
Mais là-bas aussi, la vie s’est révélée impossible du fait de la guerre entre les milices qui n’ont aucun sens de l’humanité. La vie y était tellement terrible que même dire les souffrances que nous avons endurées nous est impossible.
Alors, nous avons tenté de venir en Europe où nous avions l’espoir de trouver protection, la possibilité de vivre, et le respect des droits de l’Homme dont nous avions toujours entendu parler.
Mais venir en Europe est très dangereux, il faut prendre des risques, parcourir plus d’un millier de kilomètres en barque. Nous n’avions donc qu’une alternative : soit rester en Libye dans ces terribles conditions, soit prendre le risque de traverser la Méditerranée avec des chances infimes de survie.
Nous avons décidé d’aller en Italie. Après une dizaine d’heures de navigation, où nous avons frôlé la mort, nous avons été récupérés par les équipes de sauvetage et emmenés dans des camps. Mais là, nous avons été battus et privés de nourriture parce que nous refusions de donner nos empreintes !
Du fait de cette attitude de l’Italie envers nous, nous ne pouvions imaginer quel avenir nous aurions dans ce pays et pouvoir y trouver la protection et la vie que nous recherchions, c’est pourquoi nous avons décidé de nouveau de partir vers un autre pays qui serait certainement mieux pour nous, et ce pays était pour nous la France.
Après plusieurs tentatives, nous sommes parvenus sur le sol français, espérant y trouver la protection et la possibilité de vivre. La France nous a bien acceptés et beaucoup aidés et nous avons retrouvé ici des gens de tous les pays d’Afrique.
Nous avons effectué toutes les démarches nécessaires pour bénéficier de l’asile et pendant ces sept mois d’attente, nous avons fait tout notre possible pour apprendre le français, dans des conditions difficiles, sans activité et sans accompagnement.
Alors, nous avons été désespérés par la décision de nous renvoyer en Italie alors même que nos empreintes y avaient été prises de force.
Nous demandons la protection de la France. Nous espérons que l’Etat réexaminera nos dossiers et nous viendra en aide.