Ils sont arrivés à Briançon le 5 novembre. De Paris, en car, la nuit.
24 jeunes hommes apeurés sont descendus devant nous, qui avions préparé à manger pour les accueillir. Ils n’ont rien mangé, ils étaient fatigués, ils étaient inquiets.
Sur la carte ils avaient vu que Briançon est aux portes de l’Italie. Mais avant qu’ils ne montent dans le car, à Paris, on les avait tranquillisés :
« Nous ne vous renverrons pas en Italie. Vous allez être accueillis dans des petites villes où le maire et ses habitants vont vous soutenir, vous aider. N’ayez pas peur. Et si vous acceptez de partir là-bas et que vous vivez là-bas, vous pourrez déposer votre demande d’asile en France, les accords de Dublin ne pèseront plus sur vous. »
Ils sont montés dans le bus, avec de l’espoir.
Pour la première fois depuis de longs mois, ils auraient un toit fixe, de quoi manger chaque jour, et surtout la possibilité d’une protection réelle, l’asile, qui semblait enfin tangible.
Nous, habitants des Hautes-Alpes qui nous sommes impliqués auprès d’eux, nous étions pleins d’espoir aussi. Heureux et fiers d’accueillir ces rescapés dans nos montagnes paisibles. Il fallait mettre de la gaieté, de la chaleur, de la légèreté dans ces vies naufragées. Nous avons fait tout notre possible, le cœur plein d’assurance, réjouis des liens d’amitié que nous approfondissions ensemble.
Grâce à eux, nous avons révélé notre plus belle part d’humanité.
Grâce à eux, nous avons appliqué nos convictions profondes.
Solidarité, Egalité, Fraternité, ces mots qu’ils nous répétaient, ces mots qui les avaient guidés jusqu’à nous, nous étions fiers de les porter en tant que citoyens, en tant qu’humains. Hassan, Abdallah, Ahmed, Ossoul, Adam, Hussein. Soudan, Erythrée, Tchad.
Tout était possible. Ils arriveraient à se remettre debout tout doucement, à regagner confiance en eux et en les autres. Ils ne seraient pas désespérés à jamais, malgré tous les traumatismes vécus, toutes les humiliations et les mauvais traitements.
Et puis le premier courrier de la préfecture est arrivé. C’est Hassan qui l’a reçu.
« N’oubliez pas que vous devrez retourner en Italie pour y faire votre demande d’asile. »
Tout le monde a commencé à avoir peur. La promesse qui leur avait été faite d’être « dédublinés » n’allait pas être tenue. Dublin, Dublin, Dublin, nous avons commencé à parler de plus en plus de Dublin.
Les accords III de Dublin stipulent que c’est uniquement dans le premier pays européen traversé par le migrant que celui-ci a le droit de faire sa demande d’asile. Italie, Bulgarie et Grèce sont ainsi débordés par l’hypocrisie des autres pays européens qui refusent d’accueillir réellement les réfugiés.
Dublin, Dublin, Dublin, ils nous ont dit leur peur panique d’être renvoyés en Italie puis dans leur pays en guerre.
Ils disent :
« Je suis venu vers vous portant le drapeau blanc, cherchant une vie décente, l’humanité, la fraternité et la liberté. Si j’ai des droits et que j’y prétends, accordez-les moi. »
Nous pensons à l’article 14 de la Convention de Genève :
« Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. »
Et nous ne comprenons pas pourquoi ce droit n’est pas appliqué.
Ils disent :
« Notre problème est un problème qui concerne l’humanité. C’est un très grave problème humain. Renvoyer quelqu’un dans un pays en guerre, c’est comme le tuer et tuer tous les espoirs qui sont en lui. »
Ce blog est fait pour eux, c’est un recueil de leurs paroles enregistrées par nous, citoyens honteux des promesses non tenues par nos autorités. Ils se sentent trahis, comme nous, perdus dans l’absurdité d’un système qui leur confère le statut d’errants perpétuels.
Ils se reconstruisaient, on les remet à terre.
Eux comme nous sont sans réponse :
Pourquoi les avoir accueillis pendant six mois dans des Centres d’Accueil et d’Orientation pour finalement les renvoyer à la rue en Italie ?
Hassan est l’un des premiers qui sera expulsé, début juin.
Il dit :
« Ici, on me propose un lit, mais aussi tous les cauchemars d’expulsion et de violence. Je ne peux pas dormir dans ce lit, je n’y trouve aucun repos. »
Il continue :
« Je ne suis pas venu chercher un toit et un peu de nourriture. La seule chose que j’attends est la protection de la France, le répit dans la guerre de ma vie. »