Lu sur le facebook de Timothy Perkins

Chers Soudanais, vous composez une nouvelle communauté en France et j'ai eu envie de raconter qui vous êtes, vous qui avez fui le régime d’Omar Al-Bachir,

Dans le Monde de ce midi, une page vous est consacrée et l'article est en intégralité sur le site du monde.fr (pour les abonnés). Pour les autres, voilà un extrait de cet article qui essaie de vous raconter. Un hommage à votre courage. Une pensée particulière en l'écrivant pour quelques-uns d'entre vous. Vous vous reconnaîtrez: Abbas, Adam, Ashraf, Hassan, Ahmed, Abdo Rsol, Elsadig; Amir, Issam...

Par Maryline Baumard

 

En sortant du restaurant Le Prince, au métro La Chapelle, à Paris, Mohamad jette un œil au trottoir d’en face. On lui a dit que des agents de l’ambassade du Soudan traînent souvent en repérage dans ce coin du 18e arrondissement.

Même à 7 000 km de son pays, l’étudiant n’est pas serein. « Je dirai “ouf” quand j’aurai mon statut de réfugié… pas avant », soupire celui qui vient de faire traduire en français, sur le coin d’une table grasse au fond du boui-boui, le récit de ses persécutions pour établir sa demande d’asile. Il y a trois ans, Mohamad se serait senti bien seul en France, où les ressortissants de l’ex-colonie britannique ne s’arrêtaient pas. Mais cette époque est révolue.

Désormais, ceux qui fuient le régime dictatorial d’Omar Al-Bachir – au pouvoir depuis son coup d’Etat de 1989, en dépit de sa mise en accusation par la Cour pénale internationale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre durant la guerre du Darfour –, optent de plus en plus pour la France, dessinant les contours d’une nouvelle communauté. Avec quelques restaurants, des petites épiceries, un coiffeur, dans les rues Philippe-de-Girard et Pajol, Paris a même son quartier soudanais.

Après avoir été en tête des demandes d’asile en 2015 et en 2016, les ressortissants de ce pays sont 14 603 à bénéficier d’un titre de séjour, selon la direction des étrangers du ministère de l’intérieur. Si l’on y ajoute les premières vagues de réfugiés, qui ont aujourd’hui la nationalité française, et les déboutés de l’asile qui se sont installés sans titre, on arriverait à 30 000 Soudanais de cœur résidant dans l’Hexagone.

La France « a pourtant été d’abord un choix par défaut pour beaucoup de migrants qui ont tenté la Grande-Bretagne et se sont résignés ensuite à rester », analyse Amir El-Nour Adam, peintre en bâtiment le jour et étudiant en master 2 d’anthropologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales le soir.

Ce groupe, dans lequel les Darfouris sont majoritaires, est massivement composé d’hommes seuls. « Ils ont entre 25 et 30 ans, viennent de localités situées dans les zones en conflit d’où ils ont fui il y a plusieurs années pour rejoindre la Libye ou sont, dans une moindre proportion, originaires de zones urbaines où ils ont fait des études supérieures », explique Sylvie Bergier-Diallo, référente Ofpra pour les ressortissants de cette nationalité.

Devant « Center Soudan » dans le quartier de la communauté soudanaise du 18ème arrondissement de Paris, le 10 octobre.
Son récit dans son sac à dos, Mohamad file vers le croisement des rues Pajol et Philippe-de-Girard, épicentre de sa communauté d’origine, à 100 mètres du métro La Chapelle. « Le temps est moins long en compagnie des Soudanais », estime celui qui aime la magie des rencontres dans ce petit périmètre.

« Juste là, devant l’épicerie, j’ai aperçu la semaine dernière un ami avec qui j’avais habité en Libye. Ça m’a fait tellement plaisir de le savoir vivant que je ne pouvais plus le lâcher après. Je suis entré avec lui pour qu’il achète des gombos, et là, pour la première fois depuis que j’ai quitté Khartoum, j’ai retrouvé l’odeur du savon, des crèmes que mettent les femmes chez nous. J’ai même vu sur les étagères le parfum de ma mère. J’étais pas préparé… », raconte-t-il, ému, en montrant l’enseigne d’Aux délices du Soudan, échoppe ouverte il y a quatre ans par Ali Arbab, parti du Darfour voici neuf ans. C’est dans ce quartier aussi que Mohamad a rencontré celui qui l’a envoyé vers un « traducteur de récits d’asile ». Pour le meilleur ou le pire

Les premiers ressortissants de ce grand pays d’Afrique à avoir opté pour la France étaient « au service de riches émirs et ont décidé lors d’un passage à Paris d’y rester », rappelle Hala Babikir. Leurs enfants, dont beaucoup sont installés aux alentours d’Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), n’ont pas de lien avec le reste de la communauté. « Il se dit même qu’ils ont encore une association pour les hommes et une autre pour les femmes », rapportent à l’unisson plusieurs membres de la communauté.

Une seconde vague, plus éduquée, a suivi dix ans après, venue apprendre le français et jamais repartie. Puis est venu le tour des opposants politiques, au lendemain du coup d’Etat de 1989. Les fondateurs d’Espoir, d’ici et d’ailleurs en font partie, comme le syndicaliste Issam Othman, qui vit à Vichy (Allier) depuis que les Nations unies (ONU) l’ont fait sortir des geôles de Bachir en 2000, où il avait passé près de dix ans.

Depuis, bon an mal an, 51 % des demandeurs d’asile soudanais (contre 38 % en moyenne en 2016 toutes nationalités confondues) sont protégés. Moneim Rahama est l’un d’eux. Il est arrivé en 2015 et fait partie des artistes de la communauté ; ceux pour qui la vie à Paris est la plus rude, puisque à la précarité s’ajoute le déclassement.Comme le rappelle Abdellaziz Eshafei, « sept personnes se sont suicidées récemment dans la communauté ».

LE MONDE | 11.10.2017 |